- mer. juin 28, 2006 10:31 pm
#34707
Qu'il est boulversant ce topic....
J'ai moi aussi envie d'apporter ma pierre face à tes questions Blandine...
"Qu'est ce que ça fait de porter un corset?"
Au départ ça va drôle. Tu as toi et tu as quelque chose d'autre par dessus, quelqu'un d'autre. Une armure, une carapace. D'abord lourde, encombrante, contraignante, imposante. On se demande comment on va faire avec cette chose, alors que l'on sait que ça va durer longtemps, très longtemps. Il faut du temps pour s'apprivoiser, pour apprendre à se cerner, se connaître. C'est comme lorsqu'on rencontre quelqu'un, avant de commencer une histoire, d'amour ou d'amitié, il y a toujours un instant de fouille, de recherche, on cherche à connaître la personne...Car il est impensable d'aimer quelqu'un, vraiment, de l'accepter, sans le connaître. Un corset...C'est une histoire qui passe de la cohabitation à l'amour, au bout de quelques années. Au fil du temps, des années, on s'y habitue, on s'y fait, on vit notre vie avec, on a appris à vivre comme ça, on compose avec lui et on s'en sort. Oui, bien sûr, on ne peut pas faire certaines choses, on est limité, mais on s'y fait. Et puis, petit à petit, au fil du temps il commence doucement à faire partie de nous, on le porte et on ne le sent même plus, même le Milwaukee, c'est notre seconde peau. On y est tellement habituée qu'on ne le voit plus, qu'on l'oublie. C'est lorsqu'on arrive à ce stade qu'on peut dire que le travail d'acceptation est fait. Mais il passe également par le regard des parents...Si les parents acceptent ce corset, acceptent cette vision de l'enfant avec son corset et arrivent à faire avec, l'enfant va d'autant mieux l'accepter et le vivre.
On se rend compte que, même si on doit s'adapter, un corset n'empêche pas de vivre et d'être heureux. Personnellement, j'ai vécu 10 ans avec le Milwaukee, pas facile à vivre comme à porter comme corset et pourtant j'ai réussis...Après mon opération, j'ai eu le CTM et le contraste avec le Milwaukee a été frappant... Léger, fin, peu imposant, la vraie colonie de vacances à côté de son prédécésseur. Je n'ai donc eu aucun mal à vivre avec.
Au départ, avec un corset, on se sent mal, mal à l'aise, comme avec un étranger mais cet étranger devient vite un allié et la relation se passe bien. On ne le déteste plus, on l'accepte, on l'assume au point de parvenir à le montrer sans complexes et même avec fierté, comme ce fût mon cas, et on l'aime. Parce que c'est notre tuteur, parce qu'il nous aide à avancer, parce qu'ils nous aide dans notre combat. On se sent en adéquation avec lui car nous avons tous les deux le même but.
Personnellement, les moulages de platre ne m'ont jamais posé problème. Ca ne me dérangeait pas, je me marrais presque.
"Comment on se sent quand on nous met un plâtre?"
Là encore, le temps d'adaptation s'impose. Mais, avec le plâtre que j'ai eu en post-op je me sentais franchement bien dedans. J'étais super à l'aise, j'avais pris ma place, mes marques et je le portais sans aucune peine, malgré mon faible poid. Je ne le sentais pas vraiment, il se faisait oublier, il faisait lui aussi partie de moi, il avait une texture contrastée: la douceur du plâtre et le côté rugueux de la résine, et moi j'aimais ça. Il protégeait mon dos. Il n'était non plus un tuteur mais une chrysalide. Je ne pense pas que la différence soit plus importante, ou moins importante, qu'avec un corset. Tout dépend de la personne et de sa façon d'aborder les choses. Moi, déjà, au moulage, j'étais tout sourire et morte de rire. Le plus enquiquinant, c'est le séchage...Tu dois rester couchée à faire la crèpe sous une lampe qui chauffe, de jour comme de nuit et c'est assez désagréable...Les changements de jerseys étaient de bons moments aussi, avec beaucoup de rires.
Le plâtre de détraction, lui est carrément plus imposant que le plâtre et le corset. Tu es couchée, sans bouger. Au départ, tu ne te sens pas très à l'aise et je crois que le plus dur pour moi durant tout ce temps n'a pas été de supporter ces attirails mais d'être confrontés aux regards de mes proches, de ma maman au départ... Je n'oublierai jamais son regard lorsque j'ai eu mon Stagnara, ça m'a tellement fait mal au coeur et je me sentais tellement coupable de devoir lui faire subir tout ça...
Bref, j'ai mis une semaine pour me faire au Stagnara. Et puis après, je pouvais me tourner sans soucis avec, j'arrivais même à dormir sur le ventre et me retourner toute seule sans problème. C'est vrai que c'est dur de rester couchée 24/24h pour quelqu'un de super actif comme moi mais en même temps, ça te fait beaucoup réfléchir et te remettre en question. C'est une réelle occasion de faire le point avec soi, une petite introspection, car ce n'est que lorsque tu es confronté à toi-même que tu peux vraiment réaliser tout un tas de petites choses. C'est un mal pour un bien. C'est difficile de s'habituer à la situation de dépendance, dans mon cas ce le fût en tout cas, mais être dans cette situation te fait réaliser beaucoup de choses par exemple, te fait comprendre qu'on ne mesure pas assez sa chance pour des petites choses qui peuvent nous paraître à la base sans importance.
L'odeur du plâtre...C'est une des odeur de mon enfance et cette odeur ne me dérange pas, parfois elle me revient dans le nez et au contraire, je l'apprécie beaucoup. C'est une odeur qui me rassure, me sécurise ,l'odeur du plâtre mouillé pour moi est une odeur agréable, qui me rappelle beaucoup de choses que je suis fière d'avoir vécue et heureuse d'avoir vécue ainsi.
'' Quand on est dans un cadre, quelles sensations corporelles on a?"
Et puis moi je n'ai ressenti aucune sensation particulière. Dans le cadre debout, tu as toutefois plus l'impression d'être dans une position de crucifix, d'écartellement car tu as les bras assez surélevés et les jambes écartées de la largeur du bassin, dans une position peu confortable. C'est vrai que je n'aimais pas tellement cet inconfort lorsque j'étais petite parce que c'était dur de tenir la position. Mais être exposée au regard des médecins ne m'a jamais dérangée. Dans le cadre couchée, au contraire, c'est un plaisir, je n'ai pas ressenti grand chose. A peine si j'ai senti la sensation de vide sous moi lorsque je n'étais plus tenue que par la tête et les pieds, je n'ai aucunement senti la traction. J'ai plutôt de supers souvenirs de mon moulage, avec une équipe qui m'a fait bien rire...et sourire. C'est impressionnant le cadre de l'extérieur, de voir tout de l'extérieur mais une fois que tu es dedans, tu n'y penses plus. En tout cas moi. Tu te transformes en une sorte de funambule, un modèle que l'on va sculpter et sculpter encore pour obtenir quelque chose qui te correspondent parfaitement..Le moulage m'a toujours évoqué la sculpture et les mains du médecins travaillant le plâtre encore plus. C'était la sculpture de mon existence, et le cadre n'était qu'un moyen de faire tenir la statue le temps de ce travail.
Apparemment il y a plusieurs personnes autour de nous pour ce genre de chose. A t'on l'impression d'être un objet?
Pour moi non. J'ai toujours eu le sentiment d'être quelqu'un. Même si parfois cela était un peu technique, je n'ai jamais eu l'impression de perdre mon idendité d'humain. La seule fois où j'ai eu l'impression d'être résumée juste à un cas médical et non pas à un personne ce fût lors du staff en pré-opératoire. Sinon, jamais. Le regard des médecins ne m'a jamais dérangée, leurs mains travaillant le plâtre non plus. Je sais, j'ai comparé à une sculpture tout à l'heure, et la sculpture est un objet. Mais moi je me suis toujours sentie moi, je n'ai jamais eu la sensation de ne pas être considérée. Un objet pour moi c'est quelqu'un dont on se sert pour une tâche précise en pensant uniquement à cette tâche sans penser à la personne. Là, on pensait à moi, on me parlait, on parlait de moi, on oeuvrait avec moi et pour moi. Il est vrai que j'ai toujours été entre les mains d'une bonne équipe, en qui je pouvais avoir confiance et qui ont toujours tâché de me mettre à l'aise. Jamais je ne me suis sentie objet. Toujours je me suis sentie Amandine.
Quand on se fait opérer, et qu'on se remet debout, comment on se sent dans son corps? Si on donnait un micro à notre corps, qu'est ce qu'il dirait?
Difficile pour moi de répondre à cette question car la correction pour moi n'est pas aussi spectaculaire qu'elle l'est pour d'autres. Mais mon premier lever, c'était comme les premiers pas sur la Lune. Un vrai bonheur, une vraie aventure. Aucune sensation de vertiges, de tourni...Juste la sensation du plâtre, car c'est la première fois qu'on est debout avec lui. Il est lourd, car on ne pèse plus qu'un peu plus de 40 kilos. On s'accroche au bras de son kiné et on avance, pas après pas, doucement mais fiérement, on passe la porte de la chambre, on voit la lumière, le couloir, on savoure. Le corps va bien, on sent les jambes un peu fragile, la démarche hésitante, l'allure d'un ivrogne à marcher un peu de zig et de zag, mais je me suis sentie infinement heureuse. Je me sentais bien dans mon corps, fatiguée mais bien. Si a ce moment là il avait eu un micro, je ne sais pas honnetement ce qu'il aurait dit. Mais je savais qu'il était fort, je savais que moi et lui on était prêts a se battre pour poursuivre une convalescence. Je n'ai jamais ressenti autant qu'en ce premier lever le bonheur de marcher. Mon dos ? Aucun problème. Je n'avais pas l'impression que quelque chose de fondamental avec changé. Je lâche le bras de mon kiné et je me risque a faire quelques pas seule. Je veux voir. Je veux essayer. Je veux éprouver mon corps, mes muscles, mes jambes. Je veux voir si ils m'écoutent encore, s'ils sont encore capables de se débrouiller seuls. Oui, ils marchent, de travers mais ils marchent. J'avance. Mon kiné est obligé de me forcer à repartir car moi je ne veux pas, j'aurais pu marcher des mètres et des mètres encore, je ne me sens pas fatiguée, mais je me résigne et je retourne dans ma chambre. Ces petits pieds qui se placent l'un après l'autre sur le sol de l'hôpital, ces jambes si minces qui portent tant mais qui font bien leur travail, ce dos qui va bien, ce bien être un peu partout. Ok..J'ai fait une sieste en me recouchant mais ce fût un bonheur intense, une retrouvaille avec mon corps. Enfin j'allais pouvoir retrouver liberté, autonomie et indépendance, enfin je touchais terre.
"Quel est le regard des autres avant? Et après"
Le regard des adultes, je ne l'ai pas senti. Ou du moins je ne l'ai pas senti malsain, au contraire. C'était avec eux que je me sentais le mieux, que je me sentais le plus en phase, le plus perçue comme une personne à part entière, que l'on écoute et qu'on l'on respecte. Au collège, ce fût dur car c'est une époque où personne ne tolère la différence. Moi, je ne voulais pas être comme tout le monde et de toute façon je ne l'étais pas. On m'a rejettée, on m'en a fait voir de toutes les couleurs, de la violence morale. Au départ, je n'étais pas habituée et aller au collège m'angoissait. Le regard des autres est parfois cruel, même si cette agressivité est parfois synonyme d'incompréhension ou est parfois le seul moyen qu'ils trouvent pour se manifester...Mais ça nous grandit, ça nous rend fort, au fur et à mesure que l'on s'accepte. Après, je m'y suis faite et je m'en fichais complètement. On se rend compte que dans la vie de tous les jours, on ne nous regarde pas tant que cela. C'est nous qui le croyons, parce que nous nous focalisons la dessus et du coup on croit que c'est pour tout le monde la même chose alors on voit des regards mauvais partout. Mais ce n'est pas toujours vrai, c'est même très souvent faux. Les gens ne font pas forcément attention. J'ai vite compris que le collège, c'était à part. Je me suis donc acceptée et assumée parfaitement, même si je n'avais que peu d'amis, ceux que j'avais m'aimais avec mon corset et s'en accomodait très bien. C'était pour moi une belle preuve d'amitiés.
Après, je ne sens toujours pas le regard des autres, alors que ma scoliose se voit toujours. Je m'assume et m'accepte encore mieux, je suis toujours épanouie, équilibrée, bien dans mes baskets et en accord avec moi-même. Mon dos me ressemble, mon dos ressemble à ma vie et c'est très bien comme ça. Je suis fière de le montrer, fière de l'exposer au regard des autres. Je ne fais pas attention. Je suis différente et je compte bien le rester, je n'ai pas envie de me fondre dans la masse, de devenir quelconque, comme tout le monde ou plutôt comme n'importe qui. Je veux être moi et je le suis pleinement. Et l'on doit m'aimer comme je suis, avec mes différences. Et je sais que c'est possible. Mais il est vrai que je me sens toujours mieux avec des gens plus vieux que moi, je m'entends mieux avec moi, j'ai vraiment l'impression de partager beaucoup plus de choses, d'avoir une plus grande proximité. Et ca a d'ailleurs toujours été le cas. Je n'ai pas peur des critiques et des jugements, on pense ce que l'on veut de moi, l'avis des gens sur ma différence ne m'intéresse guère, je vis ma vie comme j'ai envie de la vivre et je n'ai aucunement l'intention de me freiner à cause des autres. On ne vit pas pour les autres, mais pour soi avant tout. Même si j'ai choisit de consacrer ma vie aux autres, en voulant être médecin, je mène tranquillement mon bout de chemin, malgré tout ce qu'on a pu penser sur mon sort depuis le départ. Et je suis fière de montrer, à ceux qui pensaient que je n'irais pas loin, que je suis aallée beaucoup plus loin qu'ils ne le prévoyaient et que je suis sur la voie de ddevenir celle que j'ai toujours voulu être. Bien sur, ce n'est pas grâce à moi uniquement, c'est aussi grace à tous ceux qui m'ont entouré de leur affection, de leur présence, de leur soutien mais aussi de leur compétence, mais cette jeune fille tordue qui vous parle, cette soeur jumelle architecturale de la Tour de Pise qui penche du côté où elle va tomber, cette bizarrerie de la nature qui ne fait pas la même taille selon la jambe sur laquelle elle met son poid du corps...Et bien c'est moi. Et je suis fière d'être moi-même. Je suis fière de ce qu'on a fait de moi et je suis fière d'exposer ce moi, tout entier, aux regards des autres, de l'exposer et de l'ouvrir au monde et de me sentir être dans un vie qui m'ouvre désormais grand les bras. Je vis parmis les autres tout en étant moi-même...Je crois donc que j'ai vraiment atteint mon équilibre.
Voilà ! Désolée pour ce long message mais je fût inspirée ce soir ! ;)
Bisounours
Amandine