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Un espace d'échanges pour ne plus être seul avec sa scoliose

Image de soi, relations aux autres, entourage, l'amour......
Par Maude
#232256
Au téléphone, Coriandre me dit : «On ne guérit pas de la scoliose. On la ralentit, on la corrige, ils nous redressent. Mais nous aurons toujours la scoliose. Nous mourrons avec cette maladie.»

Puis j’ai repensé à ces mots qu’on m’a lancés, parfois crachés, toute mon adolescence : «Tiens-toi droite!»

Et ce texte est né.

Je suis consciente qu’il peut paraître glauque au premier abord, mais il tente de décrire une traversée, une nouvelle façon d’aborder la maladie, une transformation psychique.

Je le dédie, bien humblement, à tous ceux et celles qui ont souffert de la scoliose, en silence, sous les tissus amples et les poses stratégiques.

***

Droit (e), adjectif :
Sens 1 Rectiligne, qui n'est pas courbe. Ex Ligne droite. Synonyme rectiligne
Sens 2 Vertical. Ex Ce poteau n'est pas droit.
Sens 3 Franc, honnête [Figuré]. Synonyme sincère

gauche, adjectif
Sens 1 Situé du côté du coeur.
Sens 2 Maladroit [Figuré]. Synonyme embarrassé

gauche, nom féminin
Sens 1 Côté gauche.
Sens 2 Parti ou personne prônant des idées politiques progressistes.
(www.linternaute.com)

***

J’ai toujours cru que les mots avaient un poids et une taille, une épaisseur et une longueur. Certains mots sont légers, d’autres pesants, d’autres gras et petits, d’autres grands et secs. Le mot «droit», pour moi, est long et lourd. C’est un mot pointu, qui fait mal.

«Tiens-toi droite!»

Cette sentence que je recevais comme une gifle. J’accusais le coup des mots, presque prête à tendre l’autre joue. J’essayais de me tenir droite comme un pic, droite jusqu’au ciel, droite jusqu’en m’en couper le souffle. En vain.
Moi je suis gauchère et scoliotique. Je suis l’envers de la droiture, son contraire absolu. Je suis la crochue, la gauche, la mal à droite. Droite, droitière, c’est ce que je ne serai jamais.

Je suis celle qui se cache sous le paravent des vêtements amples, des postures affectées, des feintes, des simulacres, constamment noyée dans la peur d'être démasquée. Mon corps est un corps étranger. Je ne l’habite pas vraiment. C’est la scoliose qui prend toute la place. Je ne suis que scoliose depuis quelques années. Tout mon corps tordu, distendu, crie scoliose.

Scoliose. Ce mot est entré dans ma vie à l’âge de quatorze pour ne plus jamais en sortir. C’était le mot secret, celui que je ne prononçais plus depuis des années. Le mot qu’il fallait fuir, le mot en lame de rasoir. Dans la bouche des autres, c’était le mot-massue, le mot poids lourd. Je sursautais intérieurement à chaque fois que je l’entendais. Dès qu’il était prononcé, dans une classe, une réunion, une discussion qui pourtant ne me concernait pas, il n’était prononcé que pour moi, que pour m’atteindre. C’était un mot à tête chercheuse, qui n’était destiné qu’à moi, qui arrivait à me trouver, même dans une foule.

La scoliose est une maladie du désaxement et du regard. Le regard sur soi, le regard possible, le regard imaginaire. Celui qu’on redoute tant. Lorsqu’on ose se dévoiler, on se rend compte que les autres n'ont pas le regard si scrutateur et si impitoyable qu’on l’avait imaginé (beaucoup de gens dans mon entourage immédiat ignorent même que j’ai une scoliose, j’en suis maintenant persuadée). On comprend alors que la maladie a pris de l’ampleur : après avoir désaxé notre corps entier, elle a désaxé notre psyché : on prête aux autres le même regard que nous portons sur notre corps, un regard tordu.

La scoliose, c’était aussi cette maladie obscure, cachée dans les entrailles de ma famille. C’était celle que portait mon grand-père dans son corps et qui l’écrasait, le déformait. Comme si la maladie se vengeait d’avoir sauté une génération, elle se manifestait maintenant en moi, de manière plus forte, plus vicieuse. Elle réapparaissait comme un calvaire de l’atavisme, et j’avais été désignée pour porter l’odieux dans ma chair. Telle une lettre écarlate imprimée sur mon dos, le grand «S» de stigmate, je portais la croix sinueuse dans mes os pour le reste de ma famille qui avait été épargnée.

Puis il y a eu cette chose qui s’est mis à pousser sur mon dos, qui m’a graduellement empêchée d’adhérer aux sièges, d’entrer dans des espaces exigus préfabriqués, d’entrer en contact physique avec les autres, et qui se cogne parfois contre les murs et les cadres de porte. Cette chose innommable, que je refuse qu’on touche, c’est la bosse. «Ma» bosse, qui pousse aussi sûrement que mon malaise, cette cage d’os dans laquelle je fourre tous mes complexes.

«Bossu». Le mot abject, qui fait peur. Dans la conscience populaire, on associe la bonne posture à la confiance, à l’ouverture, à la volonté, à la vitalité. Fléchir l’échine veut dire se soumettre. Un bossu, c’est quelqu’un de défait, de malade, de triste, de faible, d’écorché, d’affligé. Le mot «bossu», surtout, semble incompatible avec la jeunesse, et c’est le mot qui ne s’arrime jamais avec «jeune femme» : dans toutes les représentations artistiques, le bossu est un homme, souvent vieux, étrange, malicieux, parfois attendrissant. Bien sûr, il y a la Fée Carabosse (évidemment laide et méchante)…

La scoliose, c’est aussi cette maladie à double tranchant. Car ma scoliose n’était plus seulement l’expiation d’une faute antérieure à ma naissance, un péché originel, mais un mal mérité. «Tu as une mauvaise posture, c’est pour ça.» Mon «dos rond», mon tronc tortueux, c’était moi qui l’avais fait ainsi, avec ces sacs d’école trop lourds, ces mauvaises postures, ces corsets mal ajustés, ces crimes de lèse-droiture. Puis les verbes tournaient au passé, et les vertèbres se retournaient contre elles-mêmes. «Et si tu t’étais tenue droite aussi, on n’en serait pas là…» «Ah! Vos sacs d’école qui étaient trop lourds, ça n’a pas aidé…!» Les années passaient, la gibbosité grossissait. J’encaissais ces commentaires, je me retournais contre moi-même.

Or, j’ai lu cette semaine que les dernières recherches tendent à démontrer qu’on est scoliotique de naissance. En effet, les chercheurs croient maintenant que la scoliose se constitue avant l'âge de 6 ans, et même probablement lors de la première année de vie. Certains prétendent même qu’on pourrait distinguer des signes avant-coureurs du déséquilibre rachidien sur les radiographies pulmonaires des nouveau-nés.

Ainsi donc, c’était en moi depuis l’origine. Même enfant, j’étais une scoliotique qui s’ignorait. La maladie a toujours été en moi. Je ne l’ai pas créée, je ne l’ai pas accentuée, je ne l’ai pas méritée. J’ai connu ce corps droit d’enfant, qui était déjà habité par la courbure sans le savoir, sans le vivre. Mon corps de femme, je ne l’ai connu que torturé. La beauté est symétrie ; on nous le répète assez souvent. Comment faire pour me trouver belle, moi qui suis asymétrique?

***

Elle sera toujours là, ma scoliose. Elle a façonné mon dos, elle a torturé mon esprit ; mais je ne suis pas que scoliose, je refuse maintenant de n’être que scoliose. J’arrive aujourd’hui à me redresser, à me tenir droite face à elle. J’ai n’ai plus envie de me cacher derrière les tissus et les poses. Parce que cacher la maladie, c’est cacher la vie. Je veux regarder la maladie droit dans les yeux, la nommer, en parler, sans la défier ni la narguer. Mais être plus grande qu’elle, et l’empêcher de prendre toute la place, dans mon corps comme dans ma tête. La regarder droit dans la face.
Soudainement, le mot droit prend un tout autre sens pour moi. Une nouvelle forme.

Même avec une tige dans le dos, même soutenue par une colonne de titane, même avec un port altier, je serai toujours celle-là, celle à gauche, qui est tournée vers l’âme et l’intérieur -- la passerelle, l’arche, celle du côté du cœur.
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Par chris
#232259
:bravo2 à toi d'avoir su si bien extérioser tout ce qui était enfoui au fond de toi concernant la scoliose et d'avoir réussi à et déculpabiliser.
Et oui tu n'es en rien responsable de ta scoliose, ce n'est pas une punition.
Et merci à Coriandre pour l'aide et le soutien qu'elle t'a apporté :bisous1
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Par nenudi1
#232263
Alors la BRAVO Maude !!!

:partage :topla

Tous les gens concernés par la Scoliose devraient lire ce beau texte !

De le lire fait du bien car c'est tellement vrais que cacher la maladie c'est cacher la vie !

:amis

Si un jour je peux t'aider pour quelque chose je le ferais avec plaisir .

:soindetoi
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Par marietout
#232266
:1er Bravo et merci, l'émotion me gagne à te lire. Ma solution perso. : c'est moi qui suit "normale", la nature m'a voulue ainsi! Et puis c'est derrière, alors!
:amis
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Par Nath72
#232268
Maude , quelle émotion en lisant ton texte si vrai, si pur .
Je suis très touchée par ta sincérité et tes mots si justes.
Débarrassons nous du fardeau qui pèse sur notre vie, la culpabilité enfant quand malgré tous nos efforts la courbure évoluait ( un message à transmettre aux parents) et la culpabilité adulte de se sentir mal dans son corps et dans sa tête.

Ma journée commence bien grâce à toi, un grand merci.
Je te souhaite de poursuivre ton cheminement dans la sérénité , autant que possible. Nous serons là. :Merci1 :biz
Par diablotine
#232276
magnifique, tu as bien décrit les critères de la scoliose, le vécu que nous avons eue dans la souffrance..........
J'ai pas d'autre mot à te dire........MAGNIFIQUE............
Merci et merci à toi et à coriandre..........
ZAZA
Par Maude
#232286
Merci Chris, Nenudi, Marietout, Nath, Zaza.

Je vous avoue que ce texte n'a pas été facile à écrire... mais je me doutais qu'il allait toucher certaines personnes, et le but de ce forum est de briser l'isolement et le silence entourant cette maladie. Je suis heureuse d'avoir adhéré à cette communauté, ce groupe d'entraide. Vous êtes toutes merveilleuses et si empathiques!
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Par pop
#232309
:youpi :bravo Maud ! Et si on publiait ton magnifique article dans le journal zig-zag de l'association ??? il faut qu'un maximum de personnes puissent lire ce témoignage ! Les méthodes de soin ont progressé, les anciens légitimement expliquent aux plus jeunes, que c'est plus facile... mais ce qui n'a pas changé, c'est le ressenti, tout ce que tu décris dans ton texte. Je ne vis la scoliose que de "l'extérieur", puisque c'est ma fille qui a été opérée après plusieurs années de corsets et plâtres... mais je sais un petit peu, d'après ce qu'elle m'a livré, les difficultés :bisous
Par Maude
#232314
Oh oui, Pop, ça me ferait plus que plaisir que ce texte puisse aider d'autres personnes. J'accepte volontiers!

Petite rectification par contre : je ne suis pas encore opérée (c'est pour ça que la fin du texte est au futur). Depuis que j'ai pris la grande décision de passer sous le bistouri, j'arrive davantage à parler de la maladie, à regarder les choses en face, à sortir du déni.

J'ai remarqué, en lisant vos histoires, que beaucoup de scoliotiques ont tendance à s'isoler, à se cacher, ou alors à nier la maladie (ce que j'ai fait moi aussi pendant des années). C'est un peu ce processus de libération et de «dévoilement» que je voulais décrire dans le texte.
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Par marietout
#232321
Tiens là je découvre que je suis dans le deni, merci... :amis
Par diablotine
#232341
Oui, webmaster et pop on bien raison, pour la continuité des choses, le faire publier dans la revue zig-zag, ça apporterais que du bien pour toutes les souffrances que nous avons en nous psychologiquement que physiquement......
L'un des combats de la maladie qui est la scoliose..............
Et aussi, bravo à coriandre, vraiment, touchant, j'en ai le coeur tirailler et blessé par ces mots..........
Mille merci.
ZAZA
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Par chamalow
#232405
Waw ... C'est juste magnifique ... J'ai failli en pleurer ... C'est tellement beau, bravo à toi ! Chapeau bas ! :bisous
Par diablotine
#232413
moi je lui donne ma réverence et le tapis rouge pour maude.........
Mille merci.
ZAZA
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Par franck
#232639
Bonjour Maude,

J'aime à écrire de belles choses, de beaux textes et j'ai trouvé tout cela vraiment joli. Bien écrit, dur et empli de souffrance avec des mots crus sans couverture ou faux semblants. Mais aussi plein de vie, d'espoir, de courage et de confiance que l'on retrouve, d'affection pour soi que l'on redécouvre.
Je crois que, bien souvent, dans la maladie, le plus dur est le cheminement qu'il faut faire pour accepter ses maux et tout ce qui en découle. Apprendre à se découvrir avec nos faiblesses et accepter tout cela prend du temps, c'est sûr.

Savoir se raconter, donner aux autres un peu de soi pour les rendre plus forts est un exercice difficile. Cela aura, je pense, la valeur de les aider car beaucoup se redécouvriront au travers de ton histoire et retrouveront leurs sensations, leurs tristesses de certains jours, leur courage en définitive pour réaliser une belle vie malgré les contraintes.

Merci de ces beaux écrits,
Franck
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Par Kinou
#232679
Bravo Maude ! :bravo
Tes mots sont vraiment beaux et malheureusement vrais !
Mais il est très important de pouvoir dire ces mots pour enfin accepter ses maux.
Elle est difficile à accepter cette maladie, mais c'est le lot de toute non-normalité, il faut s'y faire, c'est notre société qui est comme ça ! Il faut se tenir droit, grand, la tête haute pour avancer comme il faut ! Et puis sinon, "va te faire opérer" ! (C'est ce que l'on m'a dit un jour ! C'est vrai que c'est une décision tellement facile à prendre !!!)
En tous cas, encore merci ! :bravo2

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