- lun. mars 05, 2012 2:22 am
#229055
Bonjour,
Je furète sur ce forum de manière anonyme depuis quelques jours seulement et j'ai déjà appris beaucoup, alors je me lance.
Voilà donc le roman de ma scoliose.
Comme beaucoup d’entre vous, j’ai été diagnostiquée au début de l’adolescence, vers 13-14 ans. À cet âge, ma scoliose évolue rapidement – je suis très grande et je pousse vite, ce qui amplifie la sinuosité. On me fabrique un corset de Boston – odieuse chose qui supposément «ne paraîtra pas sous tes vêtements» et qui paraît si peu que tout le monde s’amuse à faire toc-toc sur mon nouveau torse de polymère. Au final, après un an de corsetage intensif et inutile, je ne subis la chose que la nuit, car le corset gêne trop mon allure et mes mouvements.
Dernière visite chez l’orthopédiste. J’ai 16 ans. Nous regardons les radiographies, et il prononce les mots : 45 degrés. Je suis «à la limite» de l’opération. Mais comme je n’ai pas de douleurs, on évite le pire. Soupir de soulagement. Je ne sais pas si je dois aujourd’hui regretter cette décision d’avoir «évité le pire», sachant que tout allait empirer au cours des années suivantes. Enfin. Il nous dit adieu, et bonne chance, en quelque sorte.
En effet, au Québec, lorsque vous êtes rendu «trop vieux» pour être suivi par un orthopédiste spécialisé dans les scolioses infantiles, on tombe dans les limbes et il faut se débrouiller seul. Je suis donc allée voir des chiros, des physiothérapeutes, sans résultats. Les années passent, la gibbosité augmente… Je joue à l’autruche et laisse ça aller. Parfois, une photo ou une vidéo me rappelle ma condition (quoi, j’ai vraiment l’air de ça vue de dos?!?!), puis je replonge la tête dans le sable. D’autres fois, c’est un ami ou une connaissance qui ose un «mais qu’est-ce que tu as au dos?» avec un regard pantois, et qui me rappelle la visible anomalie de mon corps.
Or, le complexe physique a toujours été là, mais il était gérable. La confiance en moi n’était pas trop affectée, et j’ai toujours su diriger le regard des autres ailleurs... Je porte donc des hauts très amples et des bas très courts. ;) Mais d’année en année la bosse grossit et les complexes aussi. La honte d’être vue nue ou en maillot de bain, la graduelle perte de confiance et prise de conscience...
Il faut dire que je ne suis pas sportive du tout (côté postural j’aurais sûrement bénéficié aujourd’hui d’une plus grande souplesse de la colonne si j’avais été le moindrement active). Or, j’ai la chance INOUÏE de ne pas avoir de douleurs chroniques au dos. Un petit lumbago de temps à autre, mais rien de catastrophique.
Mais voilà, il y a trois ans, je me décide, à la suite d’un lumbago plus douloureux que d’habitude, de me sortir la tête du sable et d’aller constater l’étendue des dommages. Je vais voir une chiro spécialisée dans les scolioses. Elle prend des radiographies de mon dos, et c’est le choc : courbure de 59 degrés, dégénérescence osseuse à une lombaire. Elle me propose un corset SpineCor, mais ce n’est pas couvert par mes assurances et je n’ai pas l’argent pour cela. Je replonge la tête dans le sable…
Depuis deux ans, j’ai des troubles gastro-intestinaux (troubles du transit). J’ai passé une batterie de tests, mais rien de concluant. Après mille examens, un gastrologue s’avance prudemment : «C’est peut-être votre scoliose, elle est tellement grave, elle coince peut-être des nerfs…» J’ai perdu plus de deux pouces (5 centimètres) en 10 ans. Je penche de plus en plus vers l’avant. Mon épaule droite s’affaisse. Mon bassin est complètement déplacé. Bref, le spectre de l’opération se fait de plus en plus grand. J’ai l’impression d’être confrontée à ce que j’appelle un «anti-choix» : une difformité causée par la gibbosité ou une invalidité causée par la fusion de l’épine dorsale.
Je pense qu’il ne faut pas minimiser l’impact psychologique de scoliose. La souffrance reliée à l’embarras qu’on éprouve face à son corps est, selon moi, tout à faire comparable à de la douleur physique. Elle est simplement d’une autre nature. Peut-être plus supportable au quotidien, mais elle vous ronge tout de même de l’intérieur. Dans un monde où le corps est au centre des préoccupations, où la différence n’a pas de place dans l’espace médiatique, il est parfois difficile de rester désinvolte face au regard de l’autre sur sa difformité.
J’ai finalement décidé d’émerger, de sortir la tête du sable, du déni. J’ai pris rendez-vous avec mon médecin généraliste et je compte lui demander un billet pour consulter un orthopédiste. Je vais vieillir avec ce corps. Je ne peux plus nier les ravages et ceux à venir.
Merci de m’avoir écoutée.
Maude
Je furète sur ce forum de manière anonyme depuis quelques jours seulement et j'ai déjà appris beaucoup, alors je me lance.
Voilà donc le roman de ma scoliose.
Comme beaucoup d’entre vous, j’ai été diagnostiquée au début de l’adolescence, vers 13-14 ans. À cet âge, ma scoliose évolue rapidement – je suis très grande et je pousse vite, ce qui amplifie la sinuosité. On me fabrique un corset de Boston – odieuse chose qui supposément «ne paraîtra pas sous tes vêtements» et qui paraît si peu que tout le monde s’amuse à faire toc-toc sur mon nouveau torse de polymère. Au final, après un an de corsetage intensif et inutile, je ne subis la chose que la nuit, car le corset gêne trop mon allure et mes mouvements.
Dernière visite chez l’orthopédiste. J’ai 16 ans. Nous regardons les radiographies, et il prononce les mots : 45 degrés. Je suis «à la limite» de l’opération. Mais comme je n’ai pas de douleurs, on évite le pire. Soupir de soulagement. Je ne sais pas si je dois aujourd’hui regretter cette décision d’avoir «évité le pire», sachant que tout allait empirer au cours des années suivantes. Enfin. Il nous dit adieu, et bonne chance, en quelque sorte.
En effet, au Québec, lorsque vous êtes rendu «trop vieux» pour être suivi par un orthopédiste spécialisé dans les scolioses infantiles, on tombe dans les limbes et il faut se débrouiller seul. Je suis donc allée voir des chiros, des physiothérapeutes, sans résultats. Les années passent, la gibbosité augmente… Je joue à l’autruche et laisse ça aller. Parfois, une photo ou une vidéo me rappelle ma condition (quoi, j’ai vraiment l’air de ça vue de dos?!?!), puis je replonge la tête dans le sable. D’autres fois, c’est un ami ou une connaissance qui ose un «mais qu’est-ce que tu as au dos?» avec un regard pantois, et qui me rappelle la visible anomalie de mon corps.
Or, le complexe physique a toujours été là, mais il était gérable. La confiance en moi n’était pas trop affectée, et j’ai toujours su diriger le regard des autres ailleurs... Je porte donc des hauts très amples et des bas très courts. ;) Mais d’année en année la bosse grossit et les complexes aussi. La honte d’être vue nue ou en maillot de bain, la graduelle perte de confiance et prise de conscience...
Il faut dire que je ne suis pas sportive du tout (côté postural j’aurais sûrement bénéficié aujourd’hui d’une plus grande souplesse de la colonne si j’avais été le moindrement active). Or, j’ai la chance INOUÏE de ne pas avoir de douleurs chroniques au dos. Un petit lumbago de temps à autre, mais rien de catastrophique.
Mais voilà, il y a trois ans, je me décide, à la suite d’un lumbago plus douloureux que d’habitude, de me sortir la tête du sable et d’aller constater l’étendue des dommages. Je vais voir une chiro spécialisée dans les scolioses. Elle prend des radiographies de mon dos, et c’est le choc : courbure de 59 degrés, dégénérescence osseuse à une lombaire. Elle me propose un corset SpineCor, mais ce n’est pas couvert par mes assurances et je n’ai pas l’argent pour cela. Je replonge la tête dans le sable…
Depuis deux ans, j’ai des troubles gastro-intestinaux (troubles du transit). J’ai passé une batterie de tests, mais rien de concluant. Après mille examens, un gastrologue s’avance prudemment : «C’est peut-être votre scoliose, elle est tellement grave, elle coince peut-être des nerfs…» J’ai perdu plus de deux pouces (5 centimètres) en 10 ans. Je penche de plus en plus vers l’avant. Mon épaule droite s’affaisse. Mon bassin est complètement déplacé. Bref, le spectre de l’opération se fait de plus en plus grand. J’ai l’impression d’être confrontée à ce que j’appelle un «anti-choix» : une difformité causée par la gibbosité ou une invalidité causée par la fusion de l’épine dorsale.
Je pense qu’il ne faut pas minimiser l’impact psychologique de scoliose. La souffrance reliée à l’embarras qu’on éprouve face à son corps est, selon moi, tout à faire comparable à de la douleur physique. Elle est simplement d’une autre nature. Peut-être plus supportable au quotidien, mais elle vous ronge tout de même de l’intérieur. Dans un monde où le corps est au centre des préoccupations, où la différence n’a pas de place dans l’espace médiatique, il est parfois difficile de rester désinvolte face au regard de l’autre sur sa difformité.
J’ai finalement décidé d’émerger, de sortir la tête du sable, du déni. J’ai pris rendez-vous avec mon médecin généraliste et je compte lui demander un billet pour consulter un orthopédiste. Je vais vieillir avec ce corps. Je ne peux plus nier les ravages et ceux à venir.
Merci de m’avoir écoutée.
Maude
Modifié en dernier par Maude le lun. juin 11, 2012 4:15 pm, modifié 4 fois.