- jeu. avr. 05, 2012 9:44 pm
#231177
Alors voilà, je suis de retour depuis quelques heures de mon rendez-vous. Je suis encore un peu secouée, mais ça me fait toujours du bien d'écrire dans ces moments-là, c'est très catharsistique.
Je dois avouer que j'étais très, très nerveuse en allant à l'hôpital ce matin. Deux raisons : je suis de nature anxieuse au départ et, comme beaucoup de gens, j'aime pas les hôpitaux (je ressens vraiment le fameux effet «blouse blanche» : palpitations, tremblements, sueurs, etc.). Les hôpitaux, comme je n'en connais pas les joies (naissances et guérisons), je les associe à la maladie, au cancer et à la mort (ça me rappelle ma grand-mère préférée qui est décédée aux soins palliatifs il y a quelques années et ça me bouleverse).
Après les radiographies, j'attends plusieurs minutes dans un petit bureau, duquel entrent et sortent stagiaires et infirmières : je sursaute à chaque fois, croyant que c'est le docteur qui arrive. Finalement, le docteur entre avec son «entourage», un consortium de blouses blanches et d'infirmières qui se tiennent derrière lui et me fixent. Il s'assoit ; la bande des six reste debout. J'avais l'impression de subir un procès sans avocat, c'était bizarre. Le docteur est d'un calme stupéfiant face à moi, qui s'agite sur la chaise, toute déconfite, me tripotant les cheveux, balbutiant. Il sourit et fait des blagues. Je le sens un peu expéditif cependant (je comprends cela, il a un horaire surchargé, c'est un «grand ponte» comme on dit).
On regarde les radios ensemble et, sans surprise, la sinuosité a encore progressé : scoliose thoraco-lombaire de 63 degrés. Une seule courbe (comme un «C»). Il semblait s'étonner d'un truc qui m'échappait : je pense que je ne suis pas «désaxée» ; i.e. mes hautes vertèbres sont parfaitement enlignées avec mon sacrum, ou quelque chose comme ça (je n'ai pas trop compris cette partie-là). Il m'explique ensuite les avantages et les désavantages de ne rien faire versus les avantages et les désavantages d'opérer. Les avantages de ne pas opérer sont presque de l'ordre d'un truisme : en n'opérant pas, je ne m'expose pas aux risques de l'opération et... voilà le seul «avantage» de ne pas opérer. Ma scoliose continuera à progresser de 1 ou 1.5 degré par an. Il m'explique qu'aujourd'hui les techniques ont légèrement évolué, et que la greffe osseuse n'est plus prise sur la hanche (c'était ma grande hantise ; j'ai lu des trucs vraiment effrayants à ce sujet).
Dans l'éventualité d'une intervention chirurgicale, il me dit qu'il pourrait fusionner de T5 ou 6 (me rappelle plus exactement, trop stressée) à L3 ou L4, mais si j'attends trop longtemps, il devra descendre jusqu'au pelvis... Il cherche ensuite à savoir ce qui me gêne plus côté esthétique : la bosse ou la hanche? Je réponds sans tarder : TOUT, docteur!
Il me demande : Est-ce que ça vous dérange de vous mettre en maillot?
Je réponds : Non, pas de problème, vous en avez vu d'autres de toute manière... (dans ma tête, je pensais qu'il voulait que j'enfile un genre de maillot moulant pour voir correctement la sinuosité de mon dos).
Docteur : Non non, je parlais en général, est-ce que ça vous déplaît de mettre un maillot de bain sur la plage?
Moi : Ah! Docteur, je pensais que vous vouliez que je vous fasse un défilé de tenue de bain devant tout le monde ici! ;)
L'assemblée s'esclaffe.
Moi : Excusez-moi, j'avais pas bien compris la question : j'aime pas vraiment les hôpitaux, ça me rend nerveuse... (rire idiot, ici)
Docteur : Moi non plus, je n'aime pas les hôpitaux!
Rires à nouveau.
J'ai eu l'air d'une vraie folle, mais au moins ça a détendu l'atmosphère. :)
Il m'a dit que j'aurais probablement, à un autre moment de ma vie, besoin de me faire réopérer, car si on opère, l'intervention ne réglera pas tout et qu'avec le temps il faut souvent faire des ajustements (est-ce votre expérience?). Il m'a aussi dit de me faire des attentes réalistes par rapport aux améliorations cosmétiques (gibbosité, déplacement du bassin, etc.) que pouvait apporter l'opération : ma cyphose est importante, et mon bassin, très déplacé. Cependant, dit-il, ma colonne semble encore assez souple. J'ai beaucoup apprécié son humilité («je ne fais pas de miracle, je fais de mon mieux») et son flegme. Voilà un docteur qui, même s'il est une éminence en la matière, ne se prend pas pour un dieu, qui se sait homme et donc qui fait son possible, sans avoir la prétention de pouvoir réussir l'impossible.
Alors si je vais de l'avant, je dois rappeler son adjointe, qui me donnera un autre rendez-vous un peu long durant lequel je pourrai lui poser toutes les questions possibles (il m'a suggéré de les écrire). Je lui ai dit que j'aurai une longue liste («je suis ce genre-là, docteur!»). En rigolant, il m'a dit qu'il allait alors se libérer deux cases horaires pour répondre à tout ça. Nous nous sommes serré la main, et voilà, la flopée de sarraus blancs l'a suivi hors du bureau.
Une jeune infirmière, douce et souriante, est restée avec moi quelques minutes par la suite ; elle sentait très bien ma nervosité et m'a apaisée par ses sourires et ses bons mots. Elle m'a même donné son numéro de poste, «au cas où».
Ceci est la décision la plus importante de ma vie, une intervention qui changera mon corps et ma mobilité à tout jamais. Je sais que si je vais de l'avant avec cette décision, ma vie sera désormais tranchée en deux : ma vie avant l'opération, ma vie après l'opération. C'est vraiment ce qu'on nomme, à juste titre, une «charnière». J'ai l'impression que si je me fais opérer, j'aurai à dire adieu à une partie de ma féminité : rouler des hanches, se cambrer, se courber, se mouvoir avec souplesse, onduler ; tout ça est tellement associé à la sensualité féminine. Et puis même à 31 ans, toujours célibataire, j'ai encore le désir d'avoir des enfants, un jour...
Conclave familial pour Pâques chez ma mère. J'aurai l'occasion d'en discuter avec elle et mon frère... Je sais qu'en bout de ligne, il n'y a que moi qui peut trancher, mais c'est fort probablement elle qui prendra soin de moi durant l'éventuelle convalescence et son avis compte énormément pour moi.
Pour une raison étrange, on dirait que j'ai toujours su qu'un jour je me ferais opérer. Et j'ai l'impression que cette fois-ci est la «bonne» ; j'ai le sentiment d'avoir déjà le gros orteil dans l'engrenage. Mais avant j'ai besoin de me calmer, de réfléchir, de faire la paix avec tout ça.
Merci de m'avoir lue jusqu'au bout (c'était long, je sais) ; c'est fou le bien que procure ce partage entre scoliotiques. C'est vraiment, vraiment thérapeutique!
Maude