- jeu. août 26, 2010 4:25 pm
#176231
Bonjour,
Il y a des jours comme cela où l’on est un peu vague à l’âme. Pas malheureux, nostalgique ou dépressif. Juste l’esprit ailleurs, d’un coup comme cela. Parce que cela fait du bien de se rappeler un peu d’où l’on vient, ce qu’on a vécu, ressenti, respiré hier ou bien avant encore.
Le premier jour où Thomas a eu son corset, j’ai ouvert un petit tableau Excel sur mon ordinateur de bureau. Je m’étais promis de noter les heures de port de son corset, pour suivre au mieux le protocole. Comme cela, parce que c’était un des innombrables trucs que je voulais faire pour aider mon gosse, m’impliquer moi aussi dans le voyage. Amener ma petite pierre à l’édifice. Depuis ce jour, machinalement, j’ai continué à noter les heures de port, les activités physiques effectuées... et les quelques écarts que mon cœur de Papa a donné parfois en se disant que cela fait du bien aussi d’oublier un peu. J’ai continué, va savoir pourquoi, comme un rite, une tradition qui perdure. Et puis, au fond, cela ne me coûte qu’un instant de temps à autre...
Aujourd’hui, j’ai saisi ma 1253ème ligne. Cela en fait du temps, de l’amour, de la patience, 1253 lignes... Je sais au travers de cela que j’ai sûrement pensé corset et scoliose 1253 jours de suite, moi aussi. Comme tous les parents au fil du traitement. Ai-je été autant de fois que cela optimiste, triste ou inquiet. Sûrement plus.
J’ai poussé un peu plus loin dans mon âme, mon cœur et mes souvenirs. Je me souviens bien de ces maudites vacances d’été de Juillet 2007, gâchées à jamais. De la peine de Valérie ou de ses larmes, de mes inquiétudes. Je me souviens encore de l’angoisse de chacun à la maison face à tout ce qui allait nous arriver, bientôt.
Je me rappelle des essayages, des larmes de Thomas durant ces jours. Et des câlins de sa sœur pour l’encourager, ses contrôles du travail effectué par l’appareilleur. Sa solidarité. Et puis de ce 27 Août 2007 et de ces 5H45 de port. Un Everest pour un premier jour. Je me rappelle de Thomas, assis sur un muret du jardin en Milwaukee le premier soir. Droit comme un I avec sa têtière pour l’emmener jusqu’aux nuages m’avait-il semblé. Si triste, si seul au milieu des siens. De notre tristesse à tous, des doutes aussi. De cette peur de ne jamais y arriver à ce maudit protocole de 23 heures, de notre inquiétude aussi de devenir tristes et vieux à compter de ce jour, à tout jamais. Thomas a mis une semaine, une minuscule semaine pour s’y faire. Il est allé à l’école le lendemain, en corset à sa demande. Sans se poser de questions, simplement.
Ce jour là, cette semaine là, il nous a bluffé à tout jamais. Dans des dizaines d’année, je me souviendrais encore de cela, de son courage et sa volonté. Du soutien que nous avons trouvé ici, aussi. Tout cela nous paraissait si inimaginable, si impensable tout simplement la première fois où nous avons vu un corset Milwaukee. Encore aujourd’hui, il m’arrive de croiser ces deux corsets à têtière dans un des placards de l’étage. De les regarder en me demandant comment mon fils a pu porter un tel appareil sans rechigner, au forceps. Cela se vit mais ne s’explique pas.
Je me rappelle d’une autre chose. Le lendemain de sa première nuit en Milwaukee, j’ai dit à Thomas que j’étais fier de lui, sincèrement. Et cela aussi je m’en rappelle souvent, au fond de moi. Sa première nuit avec ses deux mains accrochées à sa barre de devant à dormir en gémissant un petit peu quelquefois. Et nous à côté à nous relever de notre sommeil au moindre bruit pour aller voir...
J’ai mille souvenirs de tout cela. Mille choses drôles, tristes qui me reviennent. Sûrement aussi quelques regards des autres qui collent à la peau de cette époque, sûrement pareillement des mots pas malins que l’on a entendu. Des trucs que l’on a gardé pour soi, que l’on aurait voulu partager avec d’autres qui ne comprenaient pas ou s’en foutaient finalement. On en a tous entendu ou vécu des trucs plus durs que l’indifférence. Il faudrait juste pouvoir leur dire que ce n’était pas le pire, tout cela. Mais c’était beaucoup parce que c’était notre peine à nous, notre gosse. Sans minimiser les souffrances des autres ou chercher à trouver plus grave, c’était notre fêlure au cœur à nous, que l’on aurait bien partagé.
Quelques années plus tard, les choses ont changé, se sont apaisées peut-être. Nous avons au moins appris qu’à trop vouloir donner aux autres dehors, on en oublie un peu de s’aimer soi-même. Il m’arrive souvent de dire que les soucis de santé de mes enfants m’ont ramené chez moi et rappelé combien je manquais aux miens dans ma vie effrénée. Tout cela nous appartient en famille, dans nos cœurs. Avec les soucis de santé de Justine et tous ces moments durs que l’on vit parfois.
De Papa peiné et inquiet d’hier, j’ai rejoint l’équipe d’accueil par ici. Les compagnons de route de Thomas s’appellent dorénavant Juliette, Eléonore, Camille, Eliot et tant d’autres. Il y a si longtemps déjà, on en avait si lourd à porter, tant à partager. Maintenant, on le garde un peu pour nous, presque jalousement. Il nous arrive de le livrer, d’en parler avec d’autres ailleurs qu’ici. Au gré de certaines rencontres, dans une soirée chez des amis. Chacun comprend alors quand Thomas remet son corset que tout cela, c’est long parfois. Qu’il arrive que les mille jours passés puissent devenir plusieurs milliers de jours. Et puis, chacun se rend compte qu’il en a déjà entendu parlé, de la scoliose. Au hasard d’un ami, d’un cousin, d’un proche qui a porté un corset, ou s’est fait opérer un jour. Sans trop avoir cherché à comprendre à l’époque, en pensant aussi que c’était une maladie d’adolescent qui dure une ou deux années tout au plus...
Mille jours plus tard, le vent aura tourné encore. Vent mauvais ou vent joyeux, qu’en sera-t’il advenu ce jour là ? Nous verrons. Certainement que des doutes seront passés par là, des réussites et sûrement de la peine. Il faudra ce jour là que je fasse encore un petit tour dans ma mémoire pour voir si les souvenirs restent tenaces, le cœur fidèle. Sans vague à l’âme, juste l’esprit ailleurs, d’un coup comme cela. Parce que cela fait du bien de se rappeler un peu d’où l’on vient, ce qu’on a vécu, ressenti, respiré hier ou bien avant encore...
Meilleures pensées,
Franck