- jeu. déc. 09, 2010 9:00 pm
#187014
Bonsoir,
As-tu un jour rencontré la perfection, la réussite, la performance optimale ? Celle dont tu rêvais au gré de tes efforts, ce doux rêve que tu caressais si inaccessible qu'il puisse être malgré tes efforts...
As-tu gagné un jour en gardant cependant ta réserve ? Terrassé Goliath dans ton habit de David sans pour autant te sentir invincible ?
As-tu tracé un jour une ligne longue et droite, si droite qu'elle en serait angoissante ?
Aujourd'hui, Jeudi 9 Décembre 2010, Thomas a passé sa radio semestrielle. Cette fameuse et angoissante radio qu'il lui faut passer tous les six mois. Il y avait beaucoup de monde à l'hôpital. Il a fallu attendre son tour pour la radio comme pour la consultation du docteur. Le temps passé depuis le début du traitement nous a donné de la patience, de l'élégance dans l'impatience plutôt.
Notre tour est arrivé et nous avons repris nos marques. Accrochage de la radio au tableau lumineux, déshabillage et consultation. Bilan : pas de gibbosités, un bassin stable, de bons résultats et... 0° à la radio. Le zéro parfait, infini. Le docteur a souri, regardé son collègue appareilleur et lui a demandé ce que ce petit garçon faisait là, avec ce drôle de petit corset... inutile.
Chacun l'aura compris, la scoliose de Thomas n'existe plus. On aurait pu le dire autrement, mais les mots auraient été difficiles à trouver. Le docteur a simplement dit que le traitement de la scoliose, chez les garçons, est très long et basé sur la compliance, l'acceptation. Il y a de cela 4 ans et 32° plus loin, le corset était essentiel, urgent. Mais aujourd'hui plus la peine de faire porter un corset à un enfant sans scoliose, selon le docteur. Le prochain rendez-vous nous a été donné dans six mois pour une radio, d'ici là rien. Pas de corset, ni de kiné. Juste surveiller le poids et pratiquer une activité physique. Si les choses prennent une mauvaise tournure, il sera bien temps de recommencer un traitement... dans six mois. Thomas l'a compris et le sait.
Aujourd'hui, 9 Décembre 2010, Thomas a gagné une partie de son combat de petit gamin courageux, commencé le 27 Août 2007. Il est ressorti de la consultation son corset sous le bras. Heureux mais inquiet, tout comme ses parents. D'un coup, d'un seul...
Papa est ressorti bizarre de ce rendez-vous bizarre. Il a fait quelques pas dans le couloir, s'est tourné vers Thomas et lui a dit doucement en se baissant à sa hauteur : "N'oublies jamais d'où tu sors, Thomas. Rappelles-toi longtemps le mal que tu t'es donné pour arriver à aujourd'hui. Profites de chaque jour et ne t'en veux pas de ce qu'il pourrait advenir demain. Mais surtout n'oublies jamais tout cela, c'est ta richesse, ton coeur, ton courage à toi. Ton talent".
Je ne sais pas trop ce qu'il s'est passé depuis 4 ans. Peut-être que nous avons un bon kiné, un bon médecin, un bon appareilleur, une belle famille. Et puis la recherche et la médecine ont sûrement évolué. Peut-être aussi que l'on a de la chance. Tout simplement, tout doucement. C'est drôle à dire mais lorsque tu en as pas mal bavé toute ta vie jusqu'à aujourd'hui, avoir de la chance ferait presque peur.
Nous sommes repartis comme après la première consultation de Thomas, 4 ans avant, avec cette drôle d'impression d'être tous nus, de passer à travers la vie de ce drôle d'instant. Aussi étonnant que cela puisse paraître, en marchant jusqu'à la voiture, je me suis rappelé de Thomas en Milwaukee au début. De ma peine vraie, de ma tristesse et de ce p... de sentiment d'injustice que je trimbale depuis longtemps, longtemps. Cela m'a refait mal au coeur et m'a fait comprendre la valeur de cet instant, de cette drôle de liberté nouvelle.
Je ne sais pas ce qu'il s'est passé depuis 4 ans, mais j'ai souvent rêvé à cet aujourd'hui au fil de ces années. Je voyais ce jour autrement, différent. Peut-être que j'ai pris dix piges, vieilli un peu, aiguisé mon expérience et mon savoir bien assez pour comprendre qu'aucune victoire n'est définitive face à cette drôle de maladie. Sûrement que l'humilité ma fait savourer mais pas jubiler. Ce serait trop facile. Et finalement, je me suis aussi dit que ce petit bonhomme avait eu bien du courage et que ce qu'il lui arrive aujourd'hui, il l'a bien mérité, il est allé se le chercher. Et qu'il a aussi eu un peu de chance pour y arriver parce que face à la scoliose, se donner du mal n'est malheureusement pas gage de réussite. Il faut rester humble.
Peut-être que dans six mois, il faudra y retourner. Mais il s'est gagné six mois sans boutons, sans plaques, sans la montre qui rythme les moments de liberté, de caresses le long du dos et de douceur de vivre.
Le truc le plus prenant est que la plus grande angoisse de Thomas est finalement de dormir sans corset ce soir. Et nous de comprendre qu'il n'y aura rien demain, rien pendant six mois. On a l'impression que les gens autour vont nous demander ce qu'il se passe, si on ne se serait pas un peu foutu de la g... de tout le monde. Quelle impression bizarre. Comme si l'on faisait une erreur énorme.
Mes derniers mots d'aujourd'hui seront pour vous ici. Parents d'ados, d'enfants. On ne gagne pas toujours, mais la chance tourne parfois. Sans ce drôle de traitement, on est rien même si le sacrifice est dur et long. Il faut croire en tout cela, se donner une chance. Après, la nature décide mais si l'on peut l'aider à basculer de notre côté, cela vaut le coup. Thomas est en sursis, nous le savons. croire en sa guérison définitive serait manquer d'humilité, aller à l'encontre de mes principes en me prenant pour un autre. Oublier déjà d'où l'on vient, où l'on va.
Et demain, on pourrait partir, finalement ? Dire merci pour tout et promis on reviendra vous voir si l'on a besoin. Mais non, il restera encore des mots à rajouter. Demain, plus tard, plus loin dans la vie et le traitement. Rien ne se termine aujourd'hui. Et si rien ne bougeait, il reste encore tant de chemin à parcourir, soutien aux autres, dépistage, reconnaissance de la maladie que l'on est obligé de rester ici. Pour finir l'histoire...
Meilleures pensées,
Franck