- jeu. janv. 20, 2011 8:49 pm
#190519
Bonsoir,
C'est drôle, le temps qui file. On a toujours l'impression que les choses qui nous arrivent ne sont pas si éloignées de nous au fur et à mesure que le temps passe. Sans y prendre gare, on ne regarde pas toujours en arrière, mais lorsque l'on se retourne le temps a déjà filé.
Cela fait déjà un peu plus d'un mois et demi que Thomas a posé son joli corset bleu couvert de cases de bandes dessinées et le sentiment reste parfois bizarre. A vrai dire, ce drôle de petit corset bleu était devenu une habitude, une chose par laquelle on passe chaque jour.... Un peu comme la cigarette.
C'est bizarre parce que cela fait un mois et demi que Thomas ne le remet plus le soir mais nous les grands, certaines fois on angoisse encore en pensant avoir oublié quelque chose. Mais quoi, au juste ? Ah oui, je me rappelle.
Croiriez-vous que nous avons vécu comme une espèce de cure de désaccoutumance pour nous en sortir tous, à la maison ? A l'image de ce qu'était le traitement, difficile à oublier. Il a fallu passer par bien des stades pour réapprendre les choses différemment. Oublier ce sentiment d'avoir eu plus de chance que les autres injustement. Accepter aussi le fait que la nature devait reprendre ses droits en laissant faire le hasard. Oublier le geste de remettre ce joli corset bleu qui rendait Papa si fier de son fils malgré la contrainte.
La vie a repris son cours autrement et chacun en profite un peu mieux, pourquoi ne pas l'avouer, finalement. Thomas, inquiet de son entrée en 6ème l'année prochaine, a réussi à mettre ce corset entre parenthèses, à le repousser au rang des choses que l'on met en attente.
Il a tellement grandit. Le petit garçonnet rondouillard d'hier coincé dans son premier Milwaukee couleur d'Automne s'est métamorphosé. Il est maintenant grand, plus fin de corps et de visage. Plus mature aussi, le corset y a sûrement contribué. Il a gardé cette affection des autres et des jolies choses. Cette peur du vent qui souffle la nuit qu'il avait à ses débuts par ici. Et ses petites voitures roulent encore souvent dans le salon malgré qu'il soit un homme dorénavant... Il pourrait même finir de raconter sa belle histoire à la dame qu'il avait rencontrée un soir d'Assemblée Générale à Lyon, il y a de cela quelques années. Son coeur est resté là, près des gens tendres.
Je ne crois pas qu'il ait oublié ce qu'il était, d'où il vient. Parfois, le soir, devant la télé, il se rapproche de son Papa pour se faire caresser le dos comme il le faisait auparavant pendant ses heures de liberté. Sans un mot, il soulève son tee-shirt et se laisse masser le dos. Doucement.
Il sait que le temps n'est pas toujours juste, comme chacun ici. La radio reviendra en Juin, avec le grand docteur à blouse blanche qui faisait si peur au petit gamin inquiet. Il verra bien ce qu'il en est ce jour là. Papa et Maman aussi verront, confiants.
Justine a dit à Thomas qu'elle était contente pour lui quelques jours après son arrêt du traitement. Comme cela, de but en blanc. Comme l'on se dit "je t'aime" quand on est enfant. Sincèrement, affectueusement. C'était dur pour elle de comprendre comment un truc si essentiel pouvait devenir inutile un jour, comme cela. Pour elle aussi il a fallu s'habituer, inquiète qu'elle était de ne plus voir son frère suivre son traitement. Son doigt est quasiment guéri et elle caracole dans les meilleurs de sa classe. La gentille maîtresse est revenue de maladie, toujours aussi disponible. Elle ira voir son docteur à elle Mercredi. Pour son bilan semestriel du cavernome. Cela ira, je l'espère avec elle. Thomas aussi. Quand on est grand, c'est un peu plus dur de dire aux autres qu'on les aime, qu'on a de l'affection pour eux, qu'on est inquiet. Alors il fera le dur mais pensera très fort à elle Mercredi. D'ailleurs, c'est la première fois qu'il viendra à la consultation de sa sœur, serait-ce un signe ?
C'est drôle le temps qui passe parce que tout cela est tout près de nous. Il suffit de fermer les yeux pour se rappeler. De prendre l'un de ces corsets dans ses mains pour se rappeler mille épisodes d'hier, émus aux larmes.
D'où que je vienne, où que j'aille demain, je suis finalement un homme heureux. Ma vie parfois si triste par moments depuis longtemps a fait de moi un homme différent, dans une famille à jamais différente. Je suis riche, mille fois plus riche que tout autre. Empli d'amour, d'émotion, de solidarité. Heureux.
Pour tout dire, je ne suis pas encore soigné, désintoxiqué. Le premier endroit où il me tarde souvent de venir prendre des nouvelles où en donner, partager chaque jour, est ici. Je n'avais qu'une peur en Décembre, celle de m'enfuir lâchement un jour sans rien dire. Mais je suis encore là et je ne suis pas prêt d'en guérir...
Meilleures pensées,
Franck