- jeu. nov. 24, 2011 8:49 pm
#219663
Bonsoir,
En se penchant un peu à la balustrade de la passerelle du grand bâtiment de l'hôpital, on arrive à tout voir, tout apprendre de la vie du grand vaisseau de béton.
Il suffit de tourner son regard vers la droite et l'on aperçoit tout en haut, un peu à l'écart tapis derrière d'immenses jardinières, le Service Réanimation. Il suffit de regarder pour se rappeler de ce monde à part dans l'hôpital comme si c'était hier, le coeur un peu chaviré. De ces infirmières hors du commun qui l'habitent, de ces malades au sommeil parfois aussi long que leur vie qui y dorment. Entrer ici, tout là-haut c'est un peu espérer en avoir fini avec le plus dur souvent. Sortir d'opération et s'espérer guéri à défaut d'être immédiatement remis. Reprendre sa place dans la vie doucement, avant de redescendre dans les étages inférieurs retrouver les services et espérer bientôt rentrer chez soi.
Celui qui n'y est jamais allé ne connaît pas ce lieu, n'imagine même pas cette vie de bruits feutrés,entrecoupée de bips alternatifs et de quelques pleurs gémissants. Celui qui n'y est jamais allé n'en distingue même pas les lumières, tout en haut vers le ciel de l'immeuble, à vrai dire.
A l'opposé se trouvent les salles d'opération. Un peu au-dessus elles aussi. Comme pour les protéger du regard des passants, du regard des patients. Je me souviens d'elles aussi à grand renfort de frissons. Il suffit de me rappeler mes huit heures à attendre ma fille pour que mon coeur se remette à battre à tout rompre. Me croirais-tu si je te disais un jour que j'ai parfois eu si peur de ne plus la revoir, ma fille, cette journée là. De ne plus jamais sentir son odeur, ses cheveux. Saurais-tu que finalement la chose la plus apaisante qu'il m'ait été donné de recevoir de cette journée fut son regard vide mais revenu de ce cauchemar. Sais-tu qu'encore aujourd'hui lorsque je tourne mes yeux d'homme vers ces deux mondes d'enfants, j'ai des frissons embués qui resteront encore mille ans dans mon âme.
En face se trouvent les chambres, notamment celle de Justine. Je pourrais m'y rendre presque les yeux fermés et je pourrais même te la faire voir de dehors, du périphérique. Je distinguerais encore longtemps ce petit carré blanc que l'on aperçoit du dehors en sachant tout ce qu'il y a là. Tout ce que j'y ai laissé de chagrin ou de peur, tout ce que j'y ai appris de vie, de courage des enfants.
Finalement, ce monde est un peu mien. Il fait partie de notre vie de parents et nous avons appris à l'apprivoiser. A vivre dans son ventre de temps à autre comme pas mal d'entre nous ici. Nous y avons appris à "gérer", à tomber un peu puis repartir, à douter puis croire de nouveau. A aimer les autres, à vomir nos doutes de quelquefois. A devenir des parents différents mais fiers de leurs vies à part. A garder cela pour nous aussi hélas quelquefois. A en discuter l'un contre l'autre avant que le sommeil nous gagne. A la maison, loin de l'indifférence du monde aux souffrances des autres.
Cette semaine est de nouveau une drôle de semaine dans ce drôle de monde. Justine a passé Mercredi son échographie. Les choses semblent s'être bien déroulées et nous en serons définitivement persuadés Lundi après qu'elle ait rencontré son Professeur. Cela fait une bonne année qu'elle ne l'aura pas revu, puisqu'elle dépendait récemment du chirurgien. Mais son cas s'étant amélioré, elle regagne aujourd'hui son Service d'origine avec son sympathique Professeur. Si attachant et si efficace. Un retour à la case Départ, une bonne année après. La surveillance n'en est pas pour autant terminée mais les choses semblent plus douces, moins sombre aujourd'hui pour elle.
Aujourd'hui, Thomas a rencontré son grand Docteur. Lui aussi comme depuis longtemps. Le rituel est le même depuis le premier jour à l'hôpital. D'abord la radio, puis l'attente et enfin la rencontre avec le Docteur, tant redoutée. Tant attendue. Le Docteur a mesuré une courbure à 18°. Un petit peu plus qu'il y a 6 mois où le cliché déclinait 15°. Thomas a pris 2 à 3 centimètres et 3°. Il va devoir changer de talonnette. Il en aura désormais une de 1cm au lieu des 0,5 cm d'hier afin de mieux rééquilibrer son bassin. Les résultats obtenus n'ont pas semblé catastrophiques au grand Monsieur qui a semblé s'en contenter l'air approbateur. Il a pris, comme à chaque fois depuis, le temps de plaisanter avec Thomas, de savoir comment il allait avant de dire qu'il n'était pas encore question de revenir au corset. Par contre, son ton s'est fait un peu plus grave pour affirmer que probablement dans la période de croissance, à la puberté, il faudrait revenir au port du corset. Thomas a approuvé, confiant. Les siens aussi.
Il reste dorénavant deux missions cruciales pour Thomas. La première, se trouver un sport ou du moins une activité physique pour se muscler, se charpenter au-delà de ses séances de kiné. La deuxième, surveiller son poids avec sérieux pour protéger sa colonne. Ne pas prendre de poids.
Papa a rajouté à Thomas quelques mots sur le chemin du retour. Pour l'inciter à s'investir dans ses deux missions, maintenir son poids et se trouver une activité physique. Parce qu'il semble bien que tout cela soit la clé de voûte de la réussite future du traitement pour lui, son credo. Thomas n'en a pas été ravi, mais il a approuvé. Je pense que la sagesse l'aidera à y arriver.
Nous sommes rentrés chez nous et avons retrouvé Justine. Elle est venue aux nouvelles, attentive. Chacun, avec elle, s'est réjoui de tout cela, de cette réussite du jour. chacun a appris, au fil du long voyage, que la victoire de chaque jour n'a pas de prix. Chacun sait aussi que demain pourrait être plus sombre. A trop lire dans les étoiles, on en oublierait parfois de croire en l'avenir. A trop espérer pour demain, on négligerait aujourd'hui. Au gré du vent...
Franck