bonsoir blandine,
oui, ce sont des questions difficiles, mais on a la liberté de répondre...et puis, l'écrit met une certaine distance...
le corset, je n'ai pas connu, ma scoliose a été soignée trop tard...
sur le cadre, écartelée, anonyme , un numéro dont on modele le corps, malgré moi...le froid de l'humidité du plâtre...
son odeur aussi....inoubliable, angoissante, au point que quand j'etais interne aux urgences, je faisais faire les platres par d'autres...c'est ma mauvaise madeleine de proust...
le regard des autres aussi, leurs mots, on m'appelait "touthankhamon"...sans vouloir me blesser, mais c'etait blessant quand meme, car une momie...c'est mort..
la traction, et bien, pas si mal vecue que cela, j'avais fait beaucoup de danse, alors il etait question d'assouplir, je savais comment respirer, je m'imaginais faire un "grand ecart " , un pied dans la main" et puis, l'enjeu etait de taille...et ce sont ces efforts là qui ont donné un si bon resultat...alors j'en suis fiere...
c'est vrai que j'ai passé deux mois à faire de la traction dynamique(les pedalettes) intensives, mais je ne le regrette pas, je me mettais meme des musiques de cours de danse,...
Le plus dur avec le platre, c'est qu'on ne voit plus son corps, on ne le touche plus non plus...alors on ne connait pas l'effet...et l'angoisse quand on l'enleve, c'est le resultat...est-ce que ça a redressé ou pas?
le plus dur à mon sens, c'est le reveil de l'op...certes, le resultat est super sur le plan morphologique: la bosse reduite, la taille equilibré...mais quand on s'est "construite" avec un corps déformé, et qu'on se reveille avec un corps "fabriqué"...et bien, ce corps là, c'est pas soi...c'est quelqu'un d'autres et il faut se le reaproprier...sachant que notre maladie, c'est aussi ne pas bien "sentir" notre corps...
alors on amenage comme on peut...
moi, j'ai fais de la danse: il a fallu regarder ce nouveau corps dans un miroir, voir comment il bougeait, apprendre à le faire bouger...
et puis il y a eu des moments magiques, parce que ma prof a tout compris...elle m'a donné des pistes: je ne peux plus pencher le buste sur le coté, mais je peux serrer les cotes d'un coté et les espacer de l'autre, ce qui donne une illusion de flexion...
elle m'a fait danser le solo de giselle lors du spectacle..
ce corps malaimé pouvait etre regardé, meme admiré des autres...le costume avait un décolleté dans le dos..et alors?
fallait que je simule la folie, le desespoir...j'etais tellement emue que j'ai pleuré en scene...et puis les applaudissements apres, je te dis pas, c'etait presque 2 ans jour pour jour apres mon op...
il y a aussi le jour ou j'ai vu le film "blue velvet" avec isabella rosselini, elle montre sa cicatrice sans complexe...depuis ce jour, le maillot 2 pieces ne me complexe plus...
par contre, fanette a raison de le préciser...j'ai extremement mal vecu les photos..à l'hopital, on nous prend en photo, on nous demande de nous pencher pour photographier notre gibbosité...ce fut le moment le plus humiliant de ma vie...j'avais l'impression d'etre un rat de laboratoire...aucune approche psychologique avec y compris des phrases du type: "penches toi pour qu'on la voie bien"
quand j'ai reçues ces photos avec mon dossier, je les ai detruite...personne ne doit les voir...c'est plus intime que de l'intime...j'ai été cela, je ne le suis plus...
ensuite, plusieurs années plus tard, j'ai rencontré mon cher et tendre...et oh surprise, ce corps pouvait susciter du désir, du plaisir à d'autre et aussi m'en donner à moi...là aussi, grosse emotion....
quelques années encore plus tard, il pouvait aussi donner la vie...alors là, le summum...je m'en remets toujours pas...
Bon, je m'arrete là, j'ai eu beaucoup de mal à trouver les mots...
c'est pas pour rien si j'ai fait de la danse, du patinage, que j'ai appris la langue des signes...et que je prends toujours la main de mes patients quand je leur parle...
